VERS HOLORIMES   

 

On dit que deux vers sont « holorimes » (ou olorimes) quand ils riment parfaitement et entièrement entre eux, c’est-à-dire qu’ils sont homophones (identiques phonétiquement). On trouve beaucoup de vers holorimes dans la poésie française. Il s’agit d’un exercice auquel se sont essayés les plus grands. Jugez-en par vous même !

 

Arthur Rimbaud (1854-1891) :

A velu, l'E trou blanc, l'I rouge sang, bleu O,
Hâve l'U : le troublant lire où Je semble haut !
(Sonnet des voyelles)

Charles Baudelaire (1821-1867) :

M'émeut, perle d'égout, la catin poétique,
Mais me perd le dégoût las qu'atteint Poe, étique.

Louise de Vilmorin (1902-1969) :

Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas !

Elle sort là-bas des menthes,
La belle Ève a l'âme hantée
Et le sort l'abat démente.
L'abbé laid va lamenter.

L'âme est moirée par mille émois sans torts
La mémoire est parmi les mois, Centaure.

 

Victor Hugo (1802-1885) :

Ô fragiles Hébreux ! Allez, Rebecca tombe,
Offre à Gilles zèbres, œufs : à l'Érèbe, hécatombe !

Et ma blême araignée, ogre illogique et las,
Aimable, aime à régner, au gris logis qu'elle a.

Ah là, Mêle, ancolie
A l'âme élans, colis
A la mélancolie.

 

Charles Cros (1842-1888) :

Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses,
Où dure, Ève d'efforts sa langue irrite (erreur !)
Ou du rêve des forts alanguis rit (terreur !)
Danse, aime, bleu laquais, ris d'oser des mots roses.

 

Jean Cocteau (1889-1963) :

Voit les fenêtres sur la mer,
Voile et feux naître sur la mer,
Le bal qu'on donne sur la mer.
Le balcon donne sur la mer.

 

Alphonse Allais (1854-1905) :

Par les bois du Djinn, où s'entasse de l'effroi
Parle et bois du gin ou cent tasses de lait froid.

Je dis, mettons, vers mes passages souterrains
Jeudi, mes tons verts, mais pas sages, sous tes reins.

Le bœuf à la vache :

D'où te vint
L'air boulot ?
L'herbe ou l'eau ?
Doute vain
Ô Seigneur !
Quelle panse !
Qu'elle pense
Au saigneur.

Réponse de la vache :

J'ai mi-soûle
Gémi sous le
Faix nouveau
Aide ! Grâce !
Et, de grasse
Fais- nous veau.

 

Lucien Reymond (1828-1901) :

Dans cet antre, lassés de gêner au Palais,
Dansaient entrelacés deux généraux pas laids.

Au Café de la Paix, grand-père, il se fait tard.
Oh ! qu'a fait de la pègre en péril ce fêtard ?

L'annonceras-tu, Eh ! ami : « Dix sous l'attente »
L'ânon sera tué à midi sous la tente.

Il s'agit de l'œuvre d'un poète persan, fanatique de l'Islam
dont il fait la louange en laissant entrevoir la paix de l'âme à ses croyants :

Ah ! L'Iran maudit vint à l'heure et rêve ailé
À lire en mots divins, t'a le « Vrai » révélé
Comment déjà, d'Islam à La Mecque fidèle
Commandait jadis l'âme, Allah, mais que fit d'elle ?
Ainsi, tentait de voir en versets te citer,
Insistant, tes devoirs envers cette cité.
Làs, c'est écrit cent fois, le regard d'Allah perce.
Lassé des cris sans foi, l'heureux garda la Perse.
Cher, cher athée errant, seul, ivre d'aise irai.
Chercher à Téhéran ce livre désiré.
Ah ! Par une aide à l'âme est, dit-on, le message
Apparu, né d'Allah. Méditons-le, mes sages.

 

Jean Goudeski (1866-1934) :

En 1892, ce poète et chansonnier s’est amusé à écrire un poème en utilisant uniquement des vers holorimes : il s’agit d’un sonnet, intitulé Invitation, composé de quatorze vers, comme il se doit, chacun ayant son homophone.
Jean Goudezki était un habitué du cabaret parisien du Chat noir où se réunissaient peintres, humoristes et écrivains à la fin du XIXe siècle. Dans ce sonnet, il rend hommage à son ami Alphonse Allais, renommé pour sa plume légère, ses calembours et, évidemment, ses vers holorimes.

Je t'attends samedi, car, Alphonse Allais, car
À l'ombre, à Vaux, l'on gèle. Arrive. Oh ! la campagne !
Allons – bravo ! – longer a rive au lac, en pagne ;
Jette à temps, ça me dit, carafons à l'écart.

Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche !
L'attrait : (puis, sens !) une omelette au lard nous rit,
Lait, saucisse, ombres, thé, des poires et des pêches,
Là, très puissant, un homme l'est tôt. L'art nourrit.

Et, le verre à la main – t'es-tu décidé ? Roule –
Elle verra, là mainte étude s'y déroule,
Ta main étudiera les bêtes et les gens 

Comme aux Dieux devisant, Hébé (c'est ma compagne)...
Commode, yeux de vice hantés, baissés, m'accompagne...
Amusé, tu diras : « L'Hébé te soule, hé ! Jean !

 

Jacques Prévert (1900-1977) :

Dans ces bois automnaux, graves et romantiques,
Danse et bois aux tonneaux, graves et rhum antique.
Net et vibrant, le chant d'une bergeronnette
Naît et vibre en le champ d'une bergère honnête.

Heredia lisant Verlaine - Ah joli don !!
Erre et dit à Lise en vert lainage : " Oh! lis donc. "
Saoul, l'heureux gars Raimu descend, pas sans dangers,
Sous le regard ému des cent passants d'Angers.

 

Luc Étienne (1908-1984) :

Danse, prélat ! L'abbé t'apprit l'air en plain-chant !
Dans ce pré-là, la bête a pris l'air en pleins champs.

Jonathan adulait Marie et
John, à temps, a dû les marier.

Ce vote était un pis-aller,
Ce veau tétait un pis à lait.

 

Gabriel de Lautrec (1867-1938) :

À Lesbos, à Tyr, l'évangile est appris.
Ah ! Laisse, beau satyre, l'Ève en gilet t'a pris.
As et saouls vantent au Lycée Janson de Sailly ;
Assez souvent au lit ces gens sont de saillie.
Appelons Nicéphore aux attraits ordonnés
A Paul honni, c'est fort, osa trésor donner.