Le 26 octobre 2017, l’Académie française a publié une déclaration officielle sur l’utilisation de l’écriture inclusive. Cette déclaration a été largement commentée dans la presse. Nous vous en communiquons ci-dessous le contenu et vous expliquons ensuite le pourquoi et le comment de la polémique suscitée par cette forme d’écriture.

DÉCLARATION de l’ACADÉMIE FRANÇAISE
sur l'ÉCRITURE dite « INCLUSIVE »
adoptée à l’unanimité de ses membres dans la séance du jeudi 26 octobre 2017

« Prenant acte de la diffusion d’une ‘écriture inclusive’ qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.

Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.

Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète. »

Qu’est-ce que l’écriture inclusive ?

L’écriture inclusive repose sur trois principes :

– accorder les grades, fonctions, métiers et titres en fonction du genre : "une autrice", "une pompière", "une maire".

– faire en sorte que, au pluriel, le masculin ne l’emporte plus sur le féminin en incluant les deux sexes grâce à l’utilisation du point médian : "les électeur·rice·s", "les citoyen·ne·s" ou bien "les maçonnes et les maçons".

– éviter d’employer les mots "homme" et "femme" en préférant les termes plus universels comme "les droits humains" (au lieu des "droits de l’homme") ou « les droits de la personne », comme disent les Québécois.

Pourquoi cette forme d’écriture fait-elle polémique?

Défendue depuis des années par les courants féministes, l’écriture inclusive, a pour objectif de combattre les stéréotypes sexistes en remaniant l’orthographe. Elle suscite de vives polémiques depuis que l’éditeur Hatier a publié un manuel à destination des CE2 en employant cette nouvelle méthode. Dans cet ouvrage scolaire, les différents métiers que peuvent exercer les hommes et les femmes sont orthographiés de la sorte : "agriculteur·rice·s", artisan·e·s" ou encore "commerçant·e·s". L’idée est de faire en sorte que, au pluriel, le masculin ne l’emporte plus sur le féminin, mais que les deux sexes soient mis sur le même pied d’égalité afin de mettre un terme à la hiérarchisation des sexes.

Hatier défend sa démarche : "Les manuels scolaires sont le reflet de la société et de ses évolutions. Ils cristallisent donc inévitablement les grands débats de société. Les auteurs et les éditeurs des éditions Hatier sont à l’écoute de ces débats lorsqu’ils rédigent un manuel, en toute responsabilité et en exerçant leur liberté éditoriale, dans le strict respect des programmes de l’Éducation Nationale et des valeurs de la République".

Mais cette nouvelle approche de la sacro-sainte orthographe ne manque pas de heurter les nombreux défenseurs de la langue française "traditionnelle", comme, par exemple, le philosophe Raphaël Enthoven, qui y voit une "agression de la langue par l’égalitarisme".

Le député du Vaucluse Julien Aubert, affirmant que cette écriture "prend en otage les écoliers pour transformer notre langue à des fins idéologiques", estime que "la dénaturation de la langue française est accompagnée d’une politisation du langage comparable à ce que George Orwell avait prédit avec sa fameuse ‘novlangue’, utilisée par un État totalitaire pour empêcher toute pensée subversive".

Plusieurs députés Les Républicains viennent d’envoyer une lettre au ministère de l’Education pour demander l’interdiction de l’écriture inclusive dans les manuels scolaires

Quant au ministère de l’Éducation Nationale, il reste en dehors de la polémique et s’en remet à la responsabilité des éditeurs.

Le point de vue des « pro-inclusifs »

La langue française a longtemps été plus égalitaire qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les hommes ont dominé la parole publique pendant des siècles. Mais il y a eu aussi, en France, une masculinisation délibérée du langage, à partir du XVIIe siècle, sous l’influence de « puristes ». Ces hommes qui se piquaient de définir le bon usage en ont profité pour renforcer l’ordre masculin. Ils ont condamné des noms féminins parfaitement justes et utilisés (autrice, peintresse, médecine, etc.), et ont voulu éradiquer l’accord de proximité (le fait de mettre le mot à accorder au genre et au nombre du mot le plus proche, lorsqu’il y en a plusieurs) au profit de l’accord selon « le genre le plus noble ».

Depuis 2015, le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes défend l’écriture inclusive et a même publié un guide "pour une communication publique sans stéréotype de sexe". Il préconise par exemple d’accorder les noms de métiers, titres, grades avec le sexe des personnes qui les occupent, "parce que les noms de métiers, titres, grades et fonctions existent au féminin, et ce depuis le Moyen-âge. Il n’y a donc pas de raison d’invisibiliser les femmes". On écrira alors "madame la maire", par exemple.

Si certains trouvent l’initiative anecdotique, voire ridicule, Éliane Viennot, professeure de littérature et auteure d’un ouvrage intitulé Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, défend son importance : "Le langage structure notre pensée. Expliquer aux enfants que le masculin l’emporte sur le féminin ne peut guère contribuer à forger des consciences égalitaristes".

Elle ajoute : "S’adresser au masculin à un groupe où il n’y a qu’un homme non plus. Quant aux propos prétendument généralistes qui sont entièrement rédigés au masculin, il est facile de constater qu’ils s’intéressent avant tout aux hommes. Je me souviens d’un article récent sur 'les jeunes agriculteurs’, qui mentionnait bien une fille ou deux, mais qui se terminait sur cette remarque : 'Leur véritable angoisse aujourd’hui est : trouveront-ils une épouse?'. Si cet article avait été titré 'Les jeunes agriculteurs et agricultrices’, son auteur se serait davantage intéressé aux jeunes femmes. On aurait peut-être appris ce qu’elles représentent dans cette profession, les discriminations dont elles souffrent (quasiment pas de congé maternité…), comment elles voient leur futur métier…"

Qui a tort, qui a raison ?