ACROSTICHES   

 

Le terme acrostiche apparaît en 1582 du grec acrostichis, « pièce où les initiales de chaque vers réunies forment un sens » (attesté chez Denys d'Halicarnasse), du grec akros « extrême » et stichos, « vers ». Il convient de ne pas confondre ce terme avec l'acronyme qui désigne une formation de mot par siglaison (comme “samu”, “ovni” ou “sida”).

L'acrostiche est un poème dont certains éléments forment un autre message. Le texte peut être lu de haut en bas en ne tenant compte que des lettres initiales, médianes ou finales. Ce message est un mot clé, une devise, une sentence, voire un nom propre qui désigne l'auteur, ou encore le destinataire du texte. L'acrostiche se présente le plus souvent sous la forme d'un court poème, mais elle peut être aussi une phrase. L'acrostiche peut être simple, double, syllabique...

Ce jeu apparaît dans l'Antiquité, on le trouve chez Ennius, Plaute et Commodien dit de Gaza. À partir du XVe siècle, différents auteurs ont recours à ce procédé, tel François Villon, qui donne souvent son nom en signature dans l'envoi des ballades. Quelques exemples :

Vivons en paix, exterminons discord ;
Ieunes et vieux, soyons tous d'un accord :
La loi le veut, l'apôtre le ramene
Licitement en l'epître romaine ;
Ordre nous faut, etat ou aucun port.
Notons ces points ; ne laissons le vrai port
Par offenser et prendre autrui demaine.

(Ballade de bon conseil)

Vente, gresle, gelle, j'ay mon pain cuit.
Ie suis paillart, la paillarde me suit.
Lequel vault mieux ? Chascun bien s'entresuit.
L'ung vault l'autre ; c'est a mau rat mau chat.
Ordure amons, ordure nous assuit ;
Nous deffuyons onneur, il nous deffuit,
En ce bordeau ou tenons nostre etat.

(Ballade de la Grosse Margot)

Voulez-vous que verté vous die ?
Il n’est jouer qu’en maladie,
Lettre vraie qu'en tragédie,
Lâche homme que chevalereux,
Orrible son que melodie,
Ne bien conseillé qu'amoureux.

(Ballade des contre vérités)

L’acrostiche consiste le plus souvent en un poème ludique dans lequel la première lettre de chaque vers permet de lire verticalement un mot, un nom (par exemple le nom d’une personne à qui est dédié le poème) ou une courte phrase. Celui-ci fut semble-t-il composé par Louis XIV à l’adresse d’un courtisan désargenté :

Louis est un héros sans peur et sans reproche
On désire le voir. Aussitôt qu’on l’approche
Un sentiment d’amour enflamme tous les cœurs.
Il ne trouve chez nous que des adorateurs.
Son image est partout... excepté dans ma poche.

Un acrostiche fut écrit sous la forme d’un sonnet par le maréchal Nicolas de Catinat pour célébrer Louis XIV :

Le nom de ta grandeur dont n'approche personne
On sait le triste état d'où sont tes ennemis
Voudraient-ils s'élever bien qu'ils soient terrassés
Ils connaîtront toujours la victoire immortelle

Superbes alliés, vous suivez les exemples
D'Alger et des Génois implorant d'un pardon
En vain toute l'Europe oppose ses efforts
Bataillons sont forcés, villes entreprises

Oh ! que par tant d'exploits vous serez embellis,
Votre gloire en tous lieux du combat de Marseille
Rendant la ligne entière après mille combats

Belge, tu marcheras pareille à la Savoie
On te voit tout tremblant sous un tel souverain,
Nous te verrons aussi sous un roi si célèbre.

NB : sous l’influence du latin, la lettre V se substitue à la lettre U.

L'œuvre de Pierre Corneille présente des jeux de mots et des trivialités qui ne correspondent pas à l'esthétique classique.
Voici un acrostiche dont on ne sait pas s’il fut volontaire ou non. Horace s'adresse à Curiace :

S'attacher au combat contre un autre soi-même,
Attaquer un parti qui prend pour défenseur
Le frère d'une femme et l'amant d'une sœur
Et rompant tous ces nœuds, s'armer pour la patrie
Contre un sang qu'on voudrait racheter de sa vie,
Une telle vertu n'appartenait qu'à nous;
L'éclat de son grand nom lui fait peu de jaloux...

L’écrivain Robert Desnos composa ce poème en l’honneur de la chanteuse Yvonne George, dont il était éperdument amoureux :

Y mourir ô belle flammèche y mourir
Voir les nuages fondre comme la neige et l'écho
Origines du soleil et du blanc pauvres comme Job
Ne pas mourir encore et voir durer l'ombre
Naître avec le feu et ne pas mourir
Etreindre et embrasser amour fugace le ciel mat

Gagner les hauteurs abandonner le bord
Et qui sait découvrir ce que j'aime
Omettre de transmettre mon nom aux années
Rire aux heures orageuses dormir au pied d'un pin
Grâce aux étoiles semblables à un numéro
Et mourir ce que j'aime au bord des flammes.

(Ténèbres, in Corps et biens)

Au XIe siècle, le moine Guido d'Arezzo avait eu l'idée, pour nommer les notes de la gamme, d'utiliser des syllabes d'une hymne liturgique fameuse, l'hymne des vêpres de la fête de la Naissance de saint Jean-Baptiste (dont les paroles furent écrites au VIIIe siècle par le moine bénédictin Paul Diacre). Même s’il ne s’agit pas exactement d’un acrostiche, l’idée en est proche :

UT queant laxis
REsonare fibris
MIra gestorum
SOLve polluti
FAmuli tuorum
LAbii reatum
Sancte Ioannes

NB : la note UT sera remplacée plus tard par DO, plus facile à solfier !

Dans le même esprit, Jean Lemaire de Belges, poète hennuyer (de la province belge du Hainaut), rédigea en 1498 l'Oraison à la Vierge en faisant apparaître en acrostiche les mots du Salve Regina (prière catholique dédiée à la Vierge Marie) :

SALut à vous, Dame de hault paraige
VErs qui chascun, de très humble couraige
REndre se doit, pour bienheurté conquerre.
GIron de paix, reposoir de suffraige,
NAvire seur, sans peur et sans naufraige,
MIeulx estoffé que pour la toison querre ;
SEnte d'onneur, de cière relucence,
RIche rubis bien garny d'innocence,
CORde sonnant en harpe daviticque,
DIrigez cy vostre magnificence
Et recevez mon très humble canticque.

Plus récemment, l’écrivain Jacques Bens s’amusa à écrire ce petit poème dans lequel on peut lire, sous forme d’acrostiche, le titre d’une célèbre chanson :

CAprice injuste et fou d'une femme inconstante,
PRIx d'or de cet amour que je t'avais juré,
C'EST ma vie que tu prends en prenant la tangente !
FIdèle, en t'attendant, je loge chez ma tante.
NInon, reviens, reviens ! J'en ai trop enduré !

Une variante de l’acrostiche utilise non plus la première lettre mais le premier mot en entier, comme dans cette exemple célèbre attribué à Alfred de Musset :

Quand je mets à vos pieds un éternel hommage
Voulez-vous qu’un instant je change de visage ?
Vous avez capturé les sentiments d’un cœur
Que pour vous adorer forma le Créateur.
Je vous chéris, amour, et ma plume en délire
Couche sur le papier ce que je n’ose dire.
Avec soin, de mes vers lisez les premiers mots
Vous saurez quel remède apporter à mes maux.

Destinataire supposée de cette missive, George Sand aurait répondu :

Cette insigne faveur que votre cœur réclame
Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.

Une autre variante de l’acrostiche consiste à écrire un poème destiné à être lu selon un ordre précis. Dans l’exemple célèbre ci-dessous, une lettre de George Sand à son amant, Alfred de Musset, il ne faut lire qu’une ligne sur deux en commençant par Je suis toute émue...

Cher ami,

Je suis toute émue de vous dire que j'ai
bien compris l'autre jour que vous aviez
toujours une envie folle de me faire
danser. Je garde le souvenir de votre
baiser et je voudrais bien que ce soit
une preuve que je puisse être aimée
par vous. Je suis prête à montrer mon
affection toute désintéressée et sans cal-
cul, et si vous voulez me voir ainsi
vous dévoiler, sans artifice, mon âme
toute nue, daignez me faire visite,
nous causerons et en amis franchement
je vous prouverai que je suis la femme
sincère, capable de vous offrir l'affection
la plus profonde, comme la plus étroite
amitié, en un mot : la meilleure épouse
dont vous puissiez rêver. Puisque votre
âme est libre, pensez que l'abandon ou je
vis est bien long, bien dur et souvent bien
insupportable. Mon chagrin est trop
gros. Accourrez bien vite et venez me le
faire oublier. À vous je veux me sou-
mettre entièrement.

Votre poupée

 

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