L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF DANS TOUS SES ÉTATS   

 

L’imparfait du subjonctif (également appelé subjonctif imparfait) doit s’employer dans une proposition subordonnée pour indiquer la simultanéité ou la postériorité d’une action par rapport à l’action de la principale, lorsque celle-ci est au passé. Exemple : Je craignais que la tempête ne se levât ce soir.

Au mépris de la concordance des temps, l’imparfait du subjonctif a presque disparu à l'oral, de même que son usage est devenu rare à l'écrit : on lui préfère le subjonctif présent. Bien qu'il ne soit plus nécessaire de savoir l’employer, il est tout de même utile de le connaître car on peut encore le trouver dans la littérature contemporaine, dans des discours formels ou dans la presse écrite, et surtout dans les chefs-d'œuvre de la littérature classique.

NB : ce qui est dit de l’imparfait du subjonctif est aussi valable pour son petit frère, le plus-que-parfait du subjonctif.

COMMENT FORME-T-ON L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF ?

Pour conjuguer un verbe à l'imparfait du subjonctif, il faut partir de la troisième personne du singulier du passé simple et y ajouter les terminaisons -sse, -sses, -^t, -ssions, -ssiez et -ssent.

NB : une conséquence de cette règle est qu'un verbe qui n'a pas de passé simple (par exemple, le verbe éclore), n'a, ipso facto, pas d'imparfait du subjonctif.

Exemple avec un verbe du premier groupe, le verbe « chanter » :

(que) je chantasse
(que) tu chantasses
(qu') il chantât
(que) nous chantassions
(que) vous chantassiez
(qu') ils chantassent

Avec un verbe du deuxième groupe, le verbe « finir » :

(que) je finisse
(que) tu finisses
(qu') il finît
(que) nous finissions
(que) vous finissiez
(qu') ils finissent

NB : on remarque que seule la forme de la troisième personne du singulier (finît) diffère des formes du subjonctif présent.

L’affaire se complique avec les verbes du troisième groupe qui sont irréguliers. Quelques exemples :

(que) je susse (savoir)
(que) tu prisses (prendre)
(qu’) il plût (plaire)
(que) nous crussions (croire)
(que) vous tordissiez (tordre)
(qu’) ils vissent (voir)

QUAND L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF A-T-IL COMMENCÉ À DISPARAÎTRE ET POURQUOI ?

La disparition de l'imparfait du subjonctif a commencé dès la fin du XIXe siècle. Avec le temps, l'emploi alambiqué de ce temps avait commencé à symboliser le bien-parler des élites et de l'aristocratie française des siècles précédents, au point de devenir ridicule, bizarre, voire péjoratif à l'oreille de la majorité des Français. Parallèlement, le présent du subjonctif et le conditionnel ont commencé à le remplacer, d'abord à l'oral et ensuite dans le langage écrit, allant vers une simplification de la langue et une oralisation de l'écrit.

D'ailleurs, le passé simple, qui est à la base de la conjugaison de l'imparfait du subjonctif, est en train de suivre le même parcours, le même sort. Désormais disparu à l'oral, il commence peu à peu à s'affaiblir aussi à l'écrit.

POUR QUI SONNE LE GLAS

1901 et 1976 furent des années terribles pour l’imparfait du subjonctif.

Le 26 février 1901 paraissait un premier arrêté relatif à la simplification de l’enseignement de la synthaxe française. On y lisait : « On tolérera le présent du subjonctif au lieu de l’imparfait dans les propositions subordonnées dépendant des propositions dont le verbe est au conditionnel présent : Il faudrait qu’il vienne ou qu’il vînt. »

Le 28 décembre 1976 paraissait, au Bulletin officiel de l’Éducation nationale, un nouvel arrêté. Il complétait le premier en ajoutant « […] dans les propositions subordonnées dépendant d’une proposition dont le verbe est à un temps du passé : j’avais souhaité qu’il vînt ou qu’il vienne sans tarder ».

Il n’était désormais plus nécessaire que nous sussions conjuguer ce temps, que nous l’employassions à bon escient, que nous prissions en compte le temps du verbe de la principale et que nous écrivissions conformément à la concordance des temps. Il suffisait maintenant que l’on sache, que l’on emploie, que l’on prenne et que l’on écrive.

COMMENT RECONNAÎTRE L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF ?

La grande erreur consiste à confondre le passé simple (il joua, il fit, il put) avec le subjonctif imparfait (qu’il jouât, qu’il fît, qu’il pût). C’est le piège de toute dictée. Pour l’éviter, voici comment l’on peut faire.

Soit la phrase suivante d’Alfred de Musset : « Oui, cela serait drôle qu’il lui vînt cette idée ».  Pour s’assurer qu’il s’agit bien d’un subjonctif imparfait, il suffit de mettre cette phrase au présent. On voit bien qu’on dirait plutôt : « Oui, cela est drôle qu’il lui vienne cette idée », et non pas : « Oui, cela est drôle qu’il lui vient cette idée ». Au présent, on a donc préféré un subjonctif à l’indicatif. Cette distinction de mode - qui semble évidente au présent - est la même à l’imparfait. C’est donc « vînt », avec un accent, qu’il faut écrire et non le passé simple « vint », sans accent.

QUE RÉPONDRE À CEUX QUI CRITIQUENT L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF ?

Les critiques qu’on entend souvent :                           Ce qu’il faut répondre :

c’est affreux à entendre                                               au moins, c’est français !

ça ne sert à rien                                                            la plupart des choses qui sont belles et qui font rêver ne servent à rien

c’est dépassé                                                               et alors, vous n’êtes pas obligés de suivre la mode !

ça fait prétentieux                                                        employez-le au moment opportun.

ça fait ridicule                                                              le ridicule ne tue pas

j’ai peur de me tromper                                               révisez vos conjugaisons !

on n’a pas besoin de savoir ça pour avoir le bac         pensez aussi à être heureux, à être différent, à être drôle, à être original.

Souvenez-vous de ce que disait Charles de Gaulle : "L’important n’est pas de sortir de polytechnique, mais de sortir de l’ordinaire."

QUAND L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF SONNE BIZARREMENT

 L’imparfait du subjonctif engendre parfois des phrases qu'on a du mal à placer dans un dîner en ville. Exemples :

- il serait dommage qu'à trop manger de gâteaux, un jour vous en pâtissiez.
- plus de 8 jours au lit, je douterais que vous pussiez.
- ce que vous écrivîtes dans la marge, encore eut-il fallu que nous l'observassions.
- docteur, ma femme est clouée au lit, je souhaiterais que vous la vissiez.

 Et surtout, dans la bouche d’une jeune fille :

- deux ans durant, le directeur fut amoureux de moi sans que je le susse.

UNE BIZARRERIE ORTHOGRAPHIQUE : LE CAS DU VERBE VENIR

Une particularité étonnante du verbe venir concerne son imparfait du subjonctif. Ce qui est étrange, c’est que la terminaison classique -sse est ajoutée au radical vin- et ce, sans modification. On se retrouve alors avec deux « s » là où un seul serait suffisant pour former le son « s ». Donc, d’une terminaison sans exception, on obtient tout simplement… une exception.

que je vinsse
que tu vinsses
(qu’il vînt)
que nous vinssions
que vous vinssiez
qu’ils vinssent

L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF DANS LES DÉFINITIONS DE MOTS CROISÉS

Certaines formes verbales conjuguées à l’imparfait du subjonctif peuvent (intentionnellement) prêter à confusion et induire le cruciverbiste en erreur quand elles sont utilisées en tant que définitions. Voici quelques exemples que vous pourrez éventuellement rencontrer :

LIÂSSE - BÂTISSE - FILASSE - FUMASSE - MÊLASSE - PÉTASSE - RAMASSE - TIRASSE -
CREVASSE - JAUNISSE - TERRASSE - CAILLASSE - GROGNASSE - PAILLASSE

FÛT - VÎT - CHÛT - FORÇÂT - FORMÂT - ISOLÂT - MANDÂT - PRIMÂT - SOLDÂT - CASTRÂT - CONTRÂT - CRACHÂT - HABITÂT - PLAGIÂT -
ATTENTÂT - INCARNÂT - INTERNÂT - POSTULÂT - RÉSULTÂT - SALARIÂT - CONCORDÂT


FAIRE RIRE AVEC L’IMPARFAIT DU SUBJONCTIF

Alphonse Allais (1854-1905) est un écrivain plein d'humour. On lui attribue (semble-t-il à tort) un poème dans lequel, pour se moquer de l'amoureux repoussé par une jeune fille, il utilise comme rimes des verbes conjugués au passé simple et à l'imparfait du subjonctif qui peuvent faire sourire du fait de leur désuétude :

COMPLAINTE AMOUREUSE
ADRESSÉE À LA DANSEUSE JANE AVRIL*

Oui dès l'instant que je vous vis
Beauté féroce, vous me plûtes
De l'amour qu'en vos yeux je pris
Sur-le-champ vous vous aperçûtes
Mais de quel air froid vous reçûtes
Tous les soins que pour vous je pris !
Combien de soupirs je rendis !
De quelle cruauté vous fûtes !
Et quel profond dédain vous eûtes
Pour les veux que je vous offris !
En vain, je priai, je gémis,
Dans votre dureté vous sûtes
Mépriser tout ce que je fis ;
Même un jour je vous écrivis
Un billet tendre que vous lûtes
Et je ne sais comment vous pûtes,
De sang-froid voir ce que je mis.

Ah ! Fallait-il que je vous visse
Fallait-il que vous me plussiez
Qu'ingénument je vous le disse
Qu'avec orgueil vous vous tussiez
Fallait-il que je vous aimasse
Que vous me désespérassiez
Et qu'enfin je m'opiniâtrasse
Et que je vous idolâtrasse
Pour que vous m'assassinassiez.

* Jane Avril était l’une des plus célèbres danseuses du Moulin Rouge à la Belle Époque.

Et maintenant, pour finir, une chanson humoristique qui fut interprétée au début du XXième siècle par le célèbre chanteur comique Dranem :

ROMANCE SUBJECTIVE

 introduction parlée :

J'eus jadis une folle maîtresse très forte sur les subjonctifs.
Comme le sort voulût que nos amours se brisassent,
Il fallait que je composasse cette romance
Pour que mes larmes se séchassent et que mes sanglots s'étouffassent.
Avant que je ne commençasse,
Je demanderais que vous écoutassiez cette complainte
Qui est la plus triste de toutes celles que vous ouîtes.

chanté :

De mes caresses vous rougîtes,
Puis ensuite vous les subîtes
Pourquoi faut-il que d' notr' passion
À présent nous ricanassions ?

Tout d'abord vous m'idolâtrâtes,
Puis avec un autr' vous m' trompâtes
J' n'aurais pas cru que vous l' pussiez.
Et qu' mon rival vous l'aimassiez.

Amer, amer destin du cœur
Femme légère que vous fûtes
Vous fîtes hélas pour mon malheur
Toutes les peines que vous pûtes.

Il fallait que j' vous écrivisse,
Ou que chaque jour je vous visse
Pour que vous me soupirassiez
Les mots dont vous m' baptisassiez.

Fallait que je m'agenouillasse
Sans que jamais je reculasse,
Pour que nous nous adorassions
Et puis qu' nous nous dégoûtassions,
Et puis que nous nous plaquassions.

Amer, amer destin du cœur
Dans l'amour que vous suscitâtes
Vous fîtes germer la douleur
Et ce jour-là, vous m'épatâtes !

Sans que jamais je marchandasse
Il fallait que je roucoulasse
Les vœux que vous incarnassiez
Et que vous accumulassiez.

En échange d' vos ch'veux qu' vous m'offrîtes,
C'est avec joie que vous me prîtes
Les mèches que vous désirassiez
Car j' voulus bien que vous m'éméchiez.

 Amer, amer destin du cœur
Quand un beau jour nous constatâmes
Qu' nos ch'veux lâchaient nos crânes vainqueurs,
Dès lors nous nous déplumardâmes.

Vous n' m'aimiez plus, fallait que j'eusse
Bien des forces pour que je pusse
Prendre mon cœur sans qu' vous l' retinssiez
Pour ne pas qu' vous l'abîmassiez.

Combien de cruautés vous eûtes
Que de noirs projets vous conçûtes
Pour que vous m'ensorcelassiez
Et que vous me poignardassiez.

Amer, amer destin hélas
Il fallait que j' vous oubliasse
Car votre nom, trop m'écervelât
Pour que jamais vous l' répétasse.

 

paroles: P. Briolet et Léo Lelièvre – musique : Gaston Maquis - 1905

Terminons ce chapitre par une anecdote qui pourrait avoir été extraite des mémoires d’une femme ayant vécu sous le Premier Empire :

Pendant la Révolution, un jeune officier me rendait visite chaque jour pour me courtiser, mais je refusais de le recevoir.
Comment aurais-je pu deviner que ce Bonaparte allait bientôt devenir empereur ?
J’aurai dû céder à ses avances et l’épouser : aujourd’hui je serais impératrice !
Il eût fallu cependant que je le susse et qu’à chaque visite je le reçusse.
C’était au-dessus de mes forces…

Ce texte n’est que pure fiction, vous vous en doutiez…