LA LIAISON EN FRANÇAIS  


En français, la liaison entre deux mots obéit à des règles compliquées, pour lesquelles il existe, comme pour toutes les règles, des exceptions. C'est surtout un véritable casse-tête pour les étrangers qui, même s'ils maîtrisent bien notre langue, auront toujours beaucoup de mal à savoir s'ils doivent ou non faire la liaison et comment la prononcer.
Les Francophones, quant à eux, ont été habitués dès leur plus jeune âge à pratiquer cette particularité linguistique et, en général, ne s'en sortent pas trop mal (hormis les fautes classiques du genre "les z'haricots").
Amis cruciverbistes, ce chapitre ne vous sera hélas d'aucune utilité pour mieux remplir les grilles de mots croisés, mais il vous permettra peut-être d'y voir un peu plus clair dans ce domaine.


GÉNÉRALITÉS

La liaison unit deux mots qui se suivent, la dernière lettre du premier se prononçant comme si elle commençait le second. Il n'y a pas d'arrêt de la voix entre les deux mots, donc pas de disjonction (comme devant un h aspiré, par exemple).

Alors que, dans l’écriture, la liaison est représentée par la dernière lettre du premier des deux mots qu'elle unit, dans la langue orale, c’est au début du deuxième mot qu’elle se fait entendre. Ainsi, dans « les enfants », si une pause est marquée entre « les » et « enfants », on devra dire /le ... zɑ̃fɑ̃/ et non /lez ... ɑ̃fɑ̃/.

Bon nombre de liaisons n'appartenant pas à l'usage le plus spontané, leurs conditions de réalisation sont assimilées au cours de l’apprentissage de la lecture.
La liaison entraîne généralement une modification de la prononciation du premier mot, comme dans les exemples suivants :

- c → [k] : croc de boucher = [kʁo də buʃe] ~ croc-en-jambe = [kʁɔk‿ ɑ̃ ʒɑ̃b] (dans quelques locutions figées seulement)

- d → [t] : grand roi = [gʁɑ̃ ʁwa] ~ grand homme = [gʁɑ̃t‿ ɔm]

- g → [k] : sang neuf = [sɑ̃ nœf] ~ sang impur = [sɑ̃k‿ ɛ̃pyʁ] (prononciation vieillie, sortant d'usage sauf dans quelques locutions figées)

- p → [p] : trop grand = [tʁo gʁɑ̃] ~ trop aimable = [tʁop‿ ɛmabl]

- r → [ʁ] : premier fils = [pʁəmje fis] ~ premier enfant = [pʁəmjɛʁ‿ ɑ̃fɑ̃]

- s → [z] : les francs = [le fʁɑ̃] ~ les euros = [lez‿ øʁo]

- t → [t] : pot de terre = [po də tɛʁ] ~ pot-au-feu = [pot‿ o fø]

- x → [z] : mieux manger = [mjø mɑ̃ʒe] ~ mieux être [mjøz‿ ɛtʁ].

S'il y a lieu, les voyelles nasales (-an, -en, -in, -ein, -un, -on, etc.) se lient par le "n" tandis que la voyelle qui précède le "n" se dénasalise (le plus souvent) :

- avec dénasalisation : bon repas = [bɔ̃ ʁəpɑ] ~ bon appétit [bɔn‿ apeti], un certain collègue = [sɛʁtɛ̃ kɔlɛɡ] ~ un certain ami [sɛʁtɛn‿ ami] ;

- sans dénasalisation : est concerné un petit nombre de mots comme aucun, bien, en, on, rien, un et, selon les locuteurs, non ainsi que les possessifs (mon, ton, son) ː aucun chat = [okœ̃ ʃa] ~ aucun être [okœ̃n‿ ɛtʁ], mon petit [mɔ̃ pəti] ~ mon enfant [mɔn‿ ɑ̃fɑ̃] ou [mɔ̃n‿ ɑ̃fɑ̃] (dans ces derniers cas, des réalisations dénasalisées se rencontrent aussi).

CAS OÙ LA LIAISON EST OBLIGATOIRE

Quel que soit le registre de langue (langue soutenue ou langue populaire), l'omission d'une telle liaison sera considérée comme une erreur de prononciation, et non comme une liberté prise par rapport à la norme. La liaison est donc obligatoire :

- entre l'article et le nom, ou entre le nom et l'adjectif qui le précède : un enfant, les enfants, petits enfants, grand arbre, tout homme, deux ours, vingt euros

- entre le pronom personnel et son verbe, ainsi que l'inverse : nous avons, elles aiment, on ouvre, ont-ils, prends-en, allons-y

- dans certains mots composés et locutions figées plus ou moins lexicalisées : c'est-à-dire, de temps en temps, États-Unis, Nations Unies, non-agression, petit à petit, peut-être, pied-à-terre, premier avril, etc.

CAS OÙ LA LIAISON EST FACULTATIVE

S'il existe des liaisons réellement obligatoires, d'autres ne sont « obligatoires » que dans la langue soutenue, et donc surtout lors de la diction en public de discours écrits, ou au moins influencés par l'expression écrite. De façon générale, le nombre de liaisons tend à augmenter au fur et à mesure que le style oral devient plus recherché.
Voici quelques-unes de ces liaisons facultatives parmi les plus employées, mais souvent omises dans la langue familière :

- entre les formes du verbe être et l'attribut du sujet : ils sont incroyables, c'est impossible, vous êtes idiots ;

- entre les formes des auxiliaires avoir ou être et le participe passé : ils ont aimé, elle est allée, nous sommes arrivés ;

- entre une préposition (surtout monosyllabique) et son régime : sous un abri, sans un sou, dans un salon ; elle est plus rare après les polysyllabes : après une heure, pendant un siècle ;

- après un adverbe modifiant le mot qui le suit : assez intéressant, mais aussi, pas encore, plus ici, très aimable, trop heureux ;

- entre un nom au pluriel et l'adjectif qualificatif qui le suit : des enfants agréables, des bois immenses, des habits élégants ;

- entre un verbe et ses compléments : elle prend un billet, ils vont à Paris, nous voyageons ensemble, je crois en Dieu, il faut passer à table.

Selon leur fréquence, elles sont plus ou moins pédantes : ils ont‿attendu avec liaison entre ont et attendu semble bien moins pédant que tu as‿attendu. Quand le mot finit par un r suivi d'une consonne muette pouvant faire liaison, la liaison n'est faite que dans un langage très apprêté ; d'ordinaire, c'est le r en question qui fonctionne comme consonne d'enchaînement : pars avec lui [paʁ avɛk lɥi] plutôt que [paʁz‿ avɛk lɥi], les vers et la prose [le vɛʁ e la pʁoz] plutôt que [le vɛʁz‿ e la pʁoz].

CAS OÙ LA LIAISON EST INTERDITE

Il est réputé incorrect de pratiquer une liaison :

- après la conjonction de coordination et ;

- devant un mot débutant par un h « aspiré » (les haricots, ils halètent), où l'hiatus, ainsi que l'absence d'élision et d'enchaînement, sont ici obligatoires ; dans les registres courant à familier, ce phénomène, appelé disjonction, est souvent omis, soit par ignorance de l'usage, soit par plaisanterie (la fin des « zaricots »).

- dans les cas où la dernière lettre du premier mot, ou la première voyelle du second mot est une semi-voyelle, celle-ci se comportant alors comme une consonne. Exemples : les yachts, les ouistitis. Il y a cependant certaines exceptions : les yeux, les ouailles, les ouïes, etc.

Dans les cas suivants (énumération non exhaustive), la liaison potentielle serait choquante en prose, on peut donc la considérer comme interdite par l'usage courant :

- après un nom au singulier se terminant par une consonne muette : galop effréné, sujet intéressant, débat acharné, président américain, parlement européen ;

- après certains mots qui se terminent par deux consonnes dont une seule est sonore, tels que tard, tort, part, remords, toujours, nord-est, nord-ouest, il perd un ami, je prends part à votre deuil, à tort et à travers ;

- dans certaines expressions figées ou mots composés : nez à nez, un bon à rien, corps à corps ;

- devant certains mots commençant par les semi-consonnes ou semi-voyelles [j] et [w] : les yaourts, un oui mais les‿yeux, les‿ouïes (les mots excluant la liaison empêchent également l'élision, mais l'usage hésite pour certains mots comme ouate) ;

- devant quelques mots à initiale vocalique comme onze, un (en tant que numéral et non qu'article) et huit (qui a pourtant un h muet), dans certains cas : les onze enfants, les numéros un (pour « les numéros un », mais les‿ uns et les‿ autres), les huit enfants (mais liaison dans dix-huit, mot composé).

- devant une abréviation commençant par une consonne telle que "n" ou "s", comme dans : un SDF.

FAUTES DE LIAISON COURANTES

Dans ses grandes lignes, la liaison, telle que décrite précédemment, n'est obligatoire que dans de rares cas, tous registres de langue confondus. L'omission d'une telle liaison est généralement considérée comme une erreur et non une liberté prise avec la norme. Dans les cas de liaison facultative, l'omission sera courante et la liaison n'apparaîtra que dans une diction posée et attentive. D'autre part, pratiquer une liaison là où elle est impossible peut aussi passer pour une erreur, sauf dans le cas de la disjonction avec le h « aspiré » : la liaison passera pour l'indice d'un locuteur peu cultivé devant un interlocuteur la pratiquant. Même dans la langue familière, la liaison devant le h « aspiré » (des-z-haricots) peut sembler fruste ou humoristique.

Il arrive, par hypercorrection ou par euphonie, qu'on prononce une liaison là où il n'en existe pas, qu'elle soit orthographiquement possible mais interdite : et‿ainsi, ou qu'elle soit orthographiquement impossible : moi-z-avec, ils‿étaient-z-amis. On nomme ce phénomène pataquès, pataqu'est-ce, ou encore liaison mal-t'à-propos. Dans de rares cas, ces liaisons sont conservées par la langue et deviennent obligatoires, comme dans entre quat'z'yeux, donnes-en, mange-t-il. Sinon, elles sont ressenties comme des omissions de disjonction (locuteur peu cultivé ou maladresse) : il a-t-un chapeau, tu peux-t-avoir, moi-z-aussi, vingt-z-euros, etc.

Il existe quatre termes pour désigner des erreurs de liaison :

LE PATAQUÈS

Le terme est attesté en 1784. Il est de  formation imitative par ironie, d'après ce n'est pas-t-à moi, je ne sais pas-t-à qui est-ce. La légende de son origine à la suite d'une confusion selon Domergue est fort douteuse, Pierre Guiraud évoque aussi patac, racine qui se rapporte à des mots expressifs comme patati, patatras, patapon, et avec le sens de « bruit ». Dès l'origine, le mot désigne une faute de langage, qui consiste à faire entendre un t final quand il y a une s ou inversement, et, plus généralement, à faire entendre sur la voyelle initiale d'un mot une consonne qui ne doit pas terminer le mot précédent. L'extension au sens de discours confus, d'erreur, de bévue, ou d'action maladroite, date de la fin du vingtième siècle.

LE CUIR

Le terme date de 1783 en ce sens. Le mot ne se comprend qu'en rapport avec l'expression plus ancienne écorcher un mot. Il a donc d'abord désigné toutes les erreurs de langage ou de liaison, avant de se spécialiser pour les erreurs de liaison plaçant un t. Il a subi l'analogie métaphorique du mot velours qui est postérieur. Le roi qui va-t-à Rheims. (Claudel.) Le cuir existe dans des locutions figées, du fait de la présence d'un hiatus, comme Lagardère ira-t-à toi. Ces deux formes n'ont rien de choquant du point de vue étymologique car le t appartient encore à la conjugaison de cette personne en liaison.

LE VELOURS

Dans ce sens, le terme est plus tardif : 1822. Cette erreur de diction consiste à mettre en liaison une s au lieu d'un t : il était-z à la campagne. Le mot velours vient de ce que cette liaison est moins rude que celle qui se fait avec le t, de même que le velours est plus doux au toucher que le cuir. On considérait que la dentale était plus agressive. Pour la même raison que le cuir, le velours permet d'éviter un hiatus : Lorsque j'y ai zété (Vian). Il y a velours lexicalisé et intégré dans entre quatre-z-yeux.

LA PSILOSE

Ce terme plus savant et rare encore désigne les erreurs consistant à ne pas respecter la disjonction ou le coup de glotte devant un h dit aspiré, et donc à marquer une liaison absente. Par exemple, des z-Hollandais, des z-handicapés, des z-haies.

CAS PARTICULIERS

La lecture des vers, qu'ils soient déclamés ou chantés, a longtemps imposé le respect de toutes les liaisons potentielles, même celles réputées choquantes en prose, ainsi que la lecture de tous les "e" caducs nécessaires.

À la césure, la liaison était cependant facultative dès le XVIIe siècle au moins. Omettre une liaison qui fait obstacle à l'élision d'une syllabe féminine a un effet destructeur sur le rythme du vers concerné. Depuis le XVIIe siècle, on justifie aussi la pratique systématique de la liaison dans le vers par la nécessité d'éviter l'hiatus. Mais un tel souci ne saurait être à l'origine de la pratique plus générale et plus ancienne consistant à tout enchaîner à l'intérieur du vers, car celle-ci était déjà la règle à une époque plus reculée, où l'hiatus était encore parfaitement toléré dans le vers français. Ces règles valent aussi pour les vers dramatiques, mais elles ont pu connaître quelques assouplissements à partir du XIXe siècle.

La maîtrise et le dosage des liaisons participe également de l'art oratoire. Les professionnels de la parole publique tantôt suppriment un fort pourcentage de liaisons facultatives (comme Bernard Pivot), tantôt les réalisent toutes ou encore en modulent le pourcentage en fonction du public visé, comme le faisait le général de Gaulle. Dans ce cadre se développe un emploi étranger à l'oral courant même soutenu, mais fréquent dans les allocutions radiodiffusées et télévisuelles de certains hommes politiques, tels que Jacques Chirac : il consiste à prononcer automatiquement certaines liaisons indépendamment du mot suivant, tout en introduisant une pause (disjonction ou voyelle d'hésitation notée traditionnellement euh) à la suite de la consonne de liaison. Par exemple : ils ont entendu est normalement prononcé [ilz‿ ɔ̃ ɑ̃tɑ̃dy] ou, plus soutenu, [ilz‿ ɔ̃t‿ ɑ̃tɑ̃dy] ; un locuteur pratiquant la prononciation en question dira [ilz‿ ɔ̃t ʔɑ̃tɑ̃dy] [ilz‿ ɔ̃təː(ːːː) ɑ̃tɑ̃dy] (« ils ont euh… entendu »). On peut même entendre ils ont décidé prononcé [ilz‿ ɔ̃t | deside] ([|] représente une pause ; « ils ont'… décidé ») ou [ilz‿ ɔ̃təː(ːːː) deside] (« ils ont euh… décidé »). Dans le premier cas, une pause entre deux mots reliés de manière si forte produit un effet étrange ; quant au second cas, il partage avec le pataquès le fait que la consonne est non motivée (pataquès : faute de langage consistant à faire des liaisons erronées, souvent par snobisme).