GÉSIR : UN VERBE PAS COMME LES AUTRES !   

 

Le verbe gésir est un verbe intransitif qui signifie « être couché » ou « être étendu à terre ». Plus rarement, il peut apparaître dans la littérature avec le sens de « se trouver », « être caché » ou encore « consister ». On rencontre principalement le verbe gésir dans les épitaphes funéraires : ci-gît (et plus rarement le pluriel ci-gisent), avec le sens de « ici repose », « ici est enterré ». On emploie également ce verbe en parlant d’une épave reposant au fond de la mer (« le Titanic gît par 3843 mètres de profondeur »).

En français moderne, outre l’infinitif, seules les formes suivantes sont usitées :

- indicatif présent : je gis, tu gis, il gît, nous gisons, vous gisez, ils gisent

- indicatif imparfait : je gisais, tu gisais, il gisait, nous gisions, vous gisiez, ils gisaient

- participe présent : gisant

Le conditionnel gesirait, qui serait plus correct en gésirait, a pu être employé autrefois. Certains auteurs ont même tenté de former des futurs ou des conditionnels, comme je gîrai (Claudel), il gira (Lasserre) ou elle gésirait (Yourcenar). En ancien français, la forme du futur était en fait gisra (Chrétien de Rains, Villehardouin), en moyen français gerra (Marot). Il a existé aussi un subjonctif présent, gise.

En ancien français, gésir se conjuguait au passé simple comme le verbe devoir : je jui, tu geüs, il jut, nous geümes, vous geüstes, ils jurent. Curieusement, le verbe apparaît d'abord sous la forme du parfait joth (gît) dans La Vie de saint Léger au Xe s.

Jusqu'au milieu du XXe s., la prononciation recommandée était « gé-cir » et non « gé-zir ». Émile Littré note que c'était la prononciation de quelques-uns, ce qui montre qu'elle n'était déjà plus usuelle. Toutefois, cela affectait aussi l'orthographe, comme dans « Les mines d'étain de Saxe, de Misnie, de Bohême et de Hongrie gissent, comme celles d'Angleterre, dans les montagnes à couches et d'une médiocre profondeur » (Buffon).

Le verbe gésir provient du latin classique jacere (être couché, étendu). Il s'agit d'un sens figuré à partir de jacio (lancer, jeter), le résultat de l'action étant considéré comme un état. Les sens du verbe jaceo étaient nombreux : être situé, être calme, stagnant, immobile, en ruines, en décombres, appesanti, abattu, démoralisé, affaissé, terrassé, abîmé par la douleur, négligé, diminué, malade, mourant, endormi, engourdi, sans vie, à la disposition de tous. Cela pouvait s'appliquer à des parties du corps ou à des êtres inanimés.

L'ancien français a repris le sens le plus fréquent d' « être couché », et gésir en a été utilisé avec le sens de « résider dans » (1160, Énéas). Toujours en ancien français, gésir de a signifié « accoucher », à rapprocher de l’expression en gésine signifiant « sur le point d’accoucher » (pour une femme ou une femelle de mammifère). À l'époque classique, le verbe a pu signifier « se trouver », comme chez La Fontaine : « À l'endroit où gisait cette somme enterrée ».

Il existe plusieurs dérivés du verbe gésir. Le substantif gisant (représentation sculptée et couchée du défunt) est une forme bien connue, bien que cette forme ancienne ne soit utilisée dans ce sens que depuis peu de temps (1911). Le gisant s'oppose alors à l'orant (statue montrant une personne en train de prier). Il existe également un participe présent issu du latin, jacent, avec le sens d' « étant à l'abandon, sans propriétaire, vacant ». Ce sens existait déjà en latin.

Le participe passé gis (aujourd’hui inusité) a donné le gîte (endroit pour se loger), la gîte (lieu dans lequel un bateau s'est enfoncé), le gisement (action de se coucher, puis endroit où se trouvent des minéraux). Il a également donné, par l'intermédiaire de gîte, le verbe gîter (fournir un gîte, puis se loger, en parlant des bêtes). À noter qu’aujourd’hui, le gîte désigne plus particulièrement le terrier du lapin ou du lièvre. Le terme a par ailleurs été remis au goût du jour avec l’apparition des « gîtes ruraux » qui offrent aux vacanciers un hébergement à la campagne.

Quelques exemples d’utilisation du verbe gésir dans la littérature française :

Çà et là gisaient des cadavres à demi dévorés par les bêtes fauves et les vautours.
Gustave Aimard, Les Trappeurs de l’Arkansas, 1858

Une centaine d’hommes gisent sur le pavé ; les uns sont tués roides, d’autres atteints mortellement.
Alfred Barbou, Les Trois Républiques françaises, 1879

Camus, au pied de l’arbre, gisait couché sur le dos, tout pâle, les yeux clos. Nul doute qu’il n’était monté à l’arbre et avait dégringolé.
Louis Pergaud, La Traque aux nids, 1921

Un scaphandrier islandais a plongé. Il a constaté que le Pourquoi pas ? gisait par 15 m de fond et que son étrave était brisée en quatre endroits.
José Gers, Sur la mort du Pourquoi pas ?, 1936

Sur l’établi du charpentier, un pied de chaise en réparation gisait à côté du ciseau qui ne l’avait qu’entamé […]
Jean-Baptiste Charcot, Dans la mer du Groenland, 1928

L’île de Makemo gisait à près de quatre-vingt milles de Raroia.
Alain Gerbault, À la poursuite du Soleil, 1929

Il farfouilla dans les papiers qui gisaient sur la table.
Henry Miller, Max et les Phagocytes, traduction de Jean-Claude Lefaure, 1947

Ici-gît une feuille morte, ici finit mon testament.
Georges Brassens, Le Testament, 1956

La difficulté gît dans notre laborieux consentement à vraiment porter un autre regard sur l'autre.
Robert Henckes, Au rendez-vous de Cana, 1999

Je voyais donc que j’étais Ulysse après le naufrage, échoué sur une plage indéterminée, et avant d’y élaborer un plan je savourais l’étonnement d’avoir survécu, de posséder des organes intacts et un cerveau pas plus atteint qu’avant, et de gésir sur la partie solide de la planète.
Amélie Nothomb, Pétronille, 2014